Peut-on légitimer le recours au confinement et la restriction des libertés au nom de la sécurité sanitaire dans un ouvrage d’histoire-géographie à destination des élèves de sixième ?
La République Française se fonde sur des idéaux bien connus : Liberté, Egalité, Fraternité. Ces valeurs s’inscrivent sur les façades des Mairies jusque dans le cœur de chaque citoyen, en principe. Chaque concept, s’il est archétypal, ne fait plus vraiment sens aujourd’hui. L’égalité, par exemple, implique une réciprocité, vise une certaine équité. Son but est de préserver l’équilibre de la nation. Mais cette valeur est largement mise à mal sous les assauts de l’hubris capitaliste. La liberté est conditionnelle, privatisée par des puissants qui échappent aux lois. Elle désigne originellement la possibilité d’action, de penser, de s’exprimer, de se mouvoir et d’agir selon ses idées, ses valeurs, ses croyances, ses besoins, ses désirs, dans les limites de la loi. La liberté postule une aptitude des individus à exercer leur volonté, à agir de manière responsable et autonome. L’homme libre n’est donc pas esclave, il n’est pas sous tutelle ; l’humain n’est pas un objet utilisable, manipulable et soumis à obsolescence. Mais cette liberté, pour exister, doit être garantie et encadrée par la loi. Voilà pourquoi elle s’érode, se polit au contact de l’intérêt général. Pour autant, peut-elle être suspendue au nom de ce même intérêt ? Toute loi, parce qu’elle est loi, est-elle légitime ?
Voilà un sujet qu’il s’agit d’aborder dès l’école. Les professeurs d’histoire-géographie, à travers le cours d’Education Morale et Civique, s’emparent du sujet dès la sixième. Dans un ouvrage édité en 2021, les Editions Belin ont consacré une double page à la question suivante : « Comment certaines libertés peuvent-elles être suspendues au nom de l’intérêt général ? ». Le présupposé d’une telle question est qu’il est légitime de suspendre des libertés au nom de l’intérêt général. Ce postulat est-il juste lorsqu’il s’agit de droit naturel ou de liberté fondamentale ? Ne mérite-t-il pas d’être éclairé avant de se dérouler comme une évidence ? Et quelles sont les conséquences d’un tel présupposé pour l’élève qui assiste à cette leçon ? Pouvons-nous parler ici d’endoctrinement ou de propagande en sachant que pour illustrer le sujet, les rédacteurs de l’ouvrage se sont appuyés sur le confinement imposé durant la crise sanitaire ?
On remarque que dans l’ouvrage les notions d’intérêt particulier et d’intérêt général ne sont pas éclairées. Le manuel définit « le travail d’intérêt général ». Or, quel que soit l’âge, il s’agit de définir les notions abordées pour permettre aux élèves de pouvoir les saisir. Certes, le questionnement peut paraître difficile pour un élève de sixième. Mais c’est effectivement le rôle de l’enseignement moral et civique de commencer à éveiller les esprits sur ces questions. Après tout, tout le monde est concerné. Et les enfants eux-mêmes voient leurs libertés restreintes au nom de l’intérêt commun. Comprendre en quoi on peut interdire de sortir de chez soi, pourquoi les rencontres, les activités culturelles et sportives sont limitées voire prohibées, est essentiel. Si la liberté de se mouvoir et de disposer de son propre corps est un droit naturel et constitutionnel, alors comment légitimer sa prohibition ?
Le sujet est délicat. Il est d’ailleurs remarquable que la question de la gestion de la pandémie soit à ce point clivante qu’elle en devient tabou. Celui qui ose penser et faire preuve d’esprit critique est exclu au-delà des frontières de la raison et du raisonnable. Et pourtant, les enfants ont besoin de comprendre et les adultes ont le devoir d’expliquer. Le propre de l’homme n’est-il pas de se poser des questions et de chercher à y répondre en élargissant le champ de ses connaissances et de sa conscience ? Ainsi, se poser des questions est essentiel, quelle que soit la question. Accueillir les réponses est preuve de tolérance et d’ouverture d’esprit. Le contraire se nomme fanatisme, dogmatisme et idéologie. L’enseignement moral et civique se structure autour de cette finalité : penser et incarner les idéaux républicains pour mieux faire rempart au fanatisme et garantir le bien-vivre ensemble. Etre moral et civique, c’est appréhender les concepts avec clarté ; de là, c’est savoir délibérer, raisonner, peser le pour et le contre pour se libérer de tout dogmatisme.
Dans l’ouvrage ici analysé, il s’agit de faire comprendre que pour faire société, il faut limiter la tendance à agir selon son intérêt individuel et au détriment d’autrui. Ceci est évident. Si chacun d’entre nous agissait uniquement en fonction de ses désirs ou ses pulsions, la société serait menacée. Etre libre en démocratie, c’est se plier à la loi que l’on s’est prescrite. Il s’agit bien de renoncer à une liberté individuelle et hypothétique au nom d’une liberté collective garantie en raison, fruit d’une délibération commune. Mais ne faut-il pas interroger la nature du renoncement à la liberté au nom de l’intérêt général ? Est-ce la liberté dans sa totalité qu’il s’agit de suspendre au nom de la sécurité sanitaire ? A la lumière des multiples contradictions des ministres et porte-paroles gouvernementaux au sujet du confinement, il ne s’agit pas d’ériger cette mesure comme indubitablement salvatrice. Les études scientifiques elles-mêmes se contredisent, d’où les injonctions contradictoires entre la nécessité de confiner l’ensemble de la population pour faire reculer l’épidémie, puis l’explication qu’il y a moins de contaminations au printemps car les gens sont dehors… Les éditions Belin auraient donc pu illustrer la leçon avec un type de restriction des libertés moins sujet à caution.
Si la solution de confiner l’ensemble de la population en cas d’épidémie ne fait pas l’unanimité chez les scientifiques, il est par contre évident que la mesure est violente pour la population. Les études sont ici unanimes. L’impact psychologique du confinement sur les personnes fragiles est aujourd’hui quantifiable. Il a particulièrement été violent pour les enfants, les personnes seules, les personnes âgées. Les maladies psychiques ont explosé depuis lors. L’ennui, les troubles alimentaires, les pertes de repères, le stress, le manque de sommeil, l’anxiété, les conduites addictives, les violences domestiques, les troubles de stress post-traumatique, les hallucinations, la dépression, les conduites suicidaires sont des effets du confinement. Les thérapeutes sont débordés. A cela s’ajoutent évidemment les retards d’apprentissage liés à la fermeture des établissements scolaires, des universités, des bibliothèques, des lieux de culture. Un confinement est une suspension, une mise à l’arrêt d’une société qui ne fait plus lien, mais qui se structure autour de la rupture du lien par la distanciation sociale. Quel choc ! S’il est aujourd’hui bien
connu que la peur, l’angoisse, la torpeur font chuter l’immunité, comment expliquer les directives gouvernementales contradictoires, brutales, coercitives ? De plus, les pays n’ayant pas eu recours au confinement n’ont pas constaté d’aggravation de l’épidémie. A la lumière de l’ensemble de ces paramètres, comment justifier une telle mesure, de surcroît dans un livre d’histoire de 6 ème ?
Expliquer qu’être citoyen et moral, c’est se plier à un confinement ou des auto-attestations est douteux. Dans cette épreuve, les citoyens ont prouvé qu’ils étaient dociles : ils ont obéi aux injonctions, même lorsqu’elles étaient contradictoires. Chacun a suspendu ses libertés individuelles au nom de l’intérêt général. Mais après vingt mois de crise, il est plus difficile d’adhérer à de telles mesures. Le confinement n’a pas servi l’intérêt général. Il a affaibli la nation, la santé mentale et physique des citoyens, l’économie, le niveau des élèves. Confiner les familles, c’est faire peser sur les enfants l’obligation de ne plus avoir de contacts avec d’autres enfants, ne plus jouer, ne plus faire de sport. Confiner les enfants, c’est augmenter le temps sur les écrans et la place du virtuel sur le réel ; c’est préparer les parts de marché à Metaverse. Présupposer qu’il s’agit là d’un bon exemple pour illustrer auprès d’enfants qu’il est juste de renoncer à l’intérêt particulier au nom de l’intérêt général est par conséquent très critiquable.
La critique est d’autant plus légitime qu’il est maintenant de notoriété publique que le gouvernement français a été conseillé par le Cabinet Mc Kinsey pour gérer la crise. Ce cabinet privé américain a sa page Wikipédia. Il conseille le gouvernement sur les questions logistiques liées à la crise : les couvre-feu, les auto-attestations, les confinements, la campagne vaccinale, la campagne politique. On appelle cela « le nudging ». Barbara Stiegler a analysé le phénomène dans son essai De la démocratie en pandémie. Alors qu’il est inscrit dans la constitution de 1958 à l’article 5 que le Président est « le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités », faire appel à un cabinet de conseil américain est la marque d’une perte de souveraineté nationale. Les conflits d’intérêt sont d’autant plus révoltants que l’on sait, comme on peut le lire sur Wikipédia, que « le recours à ce cabinet a coûté des millions d’euros au
contribuable pour un résultat peu probant ». De là est organisé un système de rétro-commission via des comptes off shore pour subventionner la campagne présidentielle. Et la boucle est bouclée.
En résumé, nous avons un éditeur de manuel pédagogique qui légitime implicitement ou explicitement, chacun en jugera, le recours au confinement au nom de l’intérêt général alors que la balance « bénéfice/risque » penche pour une augmentation des risques pour les enfants, les personnes fragiles, l’emploi, les personnes âgées, et une augmentation des bénéfices pour l’industrie pharmaceutique, les cabinets de conseil privés, les gouvernants. Le niveau scolaire des enfants ne fait que régresser depuis le début de la crise sanitaire alors que les rapports Pisa étaient déjà alarmants auparavant. Le confinement et les restrictions des libertés n’ont fait qu’aggraver le bien-être, l’équilibre de chacun et la capacité de faire société. Nous nous sommes pliés, bon gré, mal gré, à des restrictions des libertés individuelles au nom de l’intérêt général. Ce sacrifice est légitime lorsque les résultats sont là. Après vingt mois, nous pouvons tirer les bilans. La population s’est pliée aux restrictions et obligations sans amélioration de la situation sanitaire et des conditions de vie. Aujourd’hui, les menaces de confinement et de couvre-feu planent à nouveau sur la France. Il faudra que l’ensemble des éditeurs de manuels pédagogiques se fédère pour parvenir à légitimer des mesures politiques contre-nature, contre-productives, dangereuses pour l’intérêt commun et uniquement bénéfiques à l’intérêt individuel des élites dirigeantes… Bon courage ! Maintenant, nous savons…
Le 29 décembre 2021,
pour Enfance et Sourires33
Charlotte LASKOWSKI, professeur de philosophie.